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Le cercle vicieux
30 mai 2016

Il est important de nommer

"Tu es plus une admiratrice qu'une amante de la vie", devait me dire plus tard un jeune définisseur, et moi, d'approuver, surprise. Mais en cet été d'or, un seul m'écoutait, un seul encore croyait me connaître. Dans le monde entier, lui seulement, pendant quelque temps, put approcher son oreille pour m'entendre grandir. Des hirondelles criaient dans le ciel, des pousses d'eucalyptus rougissaient, des fontaines, au vent éparpillées, nous entouraient. Terrasses de cafés, restaurants souterrains, poussières des chemins hors les murs, touffes de châtaigniers sur les cimes albaines en vue des lacs, minuscules yeux glauques, et de l'incandescent filet de mer à l'horizon. J'étais vêtue de mousseline blanche, et il me répétait: "Souris." Tous les thèmes de ce que fut notre chanson s'affirmèrent. Il me mit entre les mains des volumes et des volumes. Des analogies singulières me rappelaient mon enfance, l'éducation paternelle. Est-ce peut-être pour cela que je décrivais avec tant de lucidité l'enfant que j'avais été? Il me comparait à une sauvage, une sauvage qui aurait agi avec un sûr instinct et les instruments les plus délicats de la civilisation. Déjà, au commencement de notre amitié, il m'avait reconnu un style, d'élan et de domination à la fois. Maintenant, il demandait: "Quelle influence mon voisinage aura-t-il sur toi? Je ne voudrais ni te troubler, ni te changer." Et, dans un de ces mouvements contradictoires que je ne savais pas encore aussi irrésistibles en n'importe quel cerveau viril, immédiatement, il ajoutait: "Mais ton livre aura ma marque." Amalgame masculin, tempérament masculin, écorce caverneuse que pénétrait mon esprit fluide en cet été doré ainsi qu'en mon enfance, ou semblablement aux nuages qui flottaient sur la croupe des monts pour en prendre petit à petit les formes, projection dans le ciel des cimes solides. "Tu ne regardes pas les aspects du monde, tu as les yeux tournés toujours en dedans." Roses, c'est vrai, je vous avais vues jusqu'alors seulement comme des apparences qu'il n'était pas nécessaire de fixer, de nommer, de distinguer; roses, vous étiez serties dans la lumière de la vie comme les gradins de pierre, comme les courantes voitures de métal, de bois, de verre, comme les éclatantes dents des bouches jeunes, roses, les blondes pâleurs d'aurore, les ondulations d'eaux, les seins des statues, les clignotements d'astres lointains... Il y avait eu des nuits où mon père m'indiquait du doigt telles constellations, et j'aimais à m'égarer dans ce lointain peut-être tumultueux dont je savais que l'écho ne me parviendrait jamais. Est-il besoin de regarder ce qui resplendit? Mon attention allait uniquement, oui, aux choses invisibles: elle allait aux inaccessibles accords de l'esprit, à leurs reflets sur les physionomies humaines, frissons de pouls, silences denses, intenses... Ce qui me surprenait, ce n'était pas la création, mais l'homme, porteur dans la création, d'une flamme cachée. Avec une passion fervente, j'épiais dans sa conscience la volonté de l'univers, le mystérieux ordre dynamique. J'épiais, je surprenais. Oh! solitude! L'homme se dresse devant moi comme si vraiment je faisais partie de l'inconscient, fleur, nid, étoile: et de tout son travail intérieur, de l'assaut qu'il mène témérairement aux causes et aux formes de toute conception et de toute architecture, je ne suis en aucune manière sa complice: femme, sous les espèces de l'éternité, immobile, contemplative, lointaine. "Souris." Avec la saveur de mon baiser ingénu et mon sourire, je lui transmettais la foi. Frémissante, j'attendais un don plus grand que le mien.

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