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Le cercle vicieux
7 juillet 2017

Les gens qui ne sont rien

Lors de l'inauguration de la Station F, incubateur de startups ouvert dans une ancienne gare, le président de la République a déclaré: "une gare, c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien, parce que c'est un lieu où on passe, parce que c'est un lieu qu'on partage." C'est vrai, nous avons tous en commun de nous être retrouvés un jour dans une gare, côté arrivées, côté départs, mais pour certains d'entre nous, la gare c'est le terminus d'une vie. Plongée de l'autre côté du miroir, là où la rue commence au bout des quais. Nous connaissons tous la matière des trottoirs, les odeurs des halls de gare, le bruit assourdissant de la circulation et des métros et dans les interstices de silence, hors du temps, il y a toutes ces vies échouées, ces corps abandonnés, que notre oeil refuse de voir, ou bien rejette dans un inconscient de la honte et de la culpabilité. Silhouettes floues qui forment notre quotidien urbain et dont nous ne voulons pas savoir trop de choses, de peur de passer de l'autre côté du miroir. Car ces femmes et ces hommes ont été enfants, ont eu une vie, et sont aujourd'hui des fantômes accrochés à la dernière lueur de société, le lieu de passage par excellence, la gare. Ils sont invisibles et vivent un quotidien de luttes improbables, ce sont ceux qui ont choisi, consciemment ou inconsciemment, la gare comme terminus. Fin des illusions, fin de soi, fin du corps et dissolution de l'esprit dans l'alcool, les drogues ou les psychoses liées à la rue, la gare est leur dernier refuge, vestige d'un temps où ils étaient humains. Il serait rassurant de se dire qu'ils sont là parce qu'ils l'ont choisi, parce qu'ils boivent, parce qu'ils sont délirants... Parce qu'ils ne sont pas comme nous, nous, qui avons réussi. Et si les raisons de leur présence étaient plus complexes: parcours personnel traumatique, échecs scolaires, discrimination, absence de possibilités de réinsertion après un passage en prison? Alors nous aurions peut-être des comptes à leur rendre. En choisissant la métaphore de la gare, Emmanuel Macron ne se trompait pas, il a montré avec ses mots, certes empreint du prisme de classe, que la gare est le plus grand théâtre du cirque humain ou se reflète à l'échelle microscopique l'absurdité de nos sociétés de consommation. Mais réussir, tout comme n'être rien, c'est extrêmement réducteur, c'est oublier que cette humanité des perdants continue la lutte, dans une vérité parallèle, où les exclus et les marginaux côtoient les cadres dynamiques, symboles de la réussite, pressés de prendre le Thalys ou un TGV vers un pole économique de l'hexagone. Cet envers du décor est une production de la vie rêvée des sociétés de consommation ou les foules laborieuses se mettent en marche dans un quotidien chronométré par la productivité et la recherche du profit. Dans une logique d'efficacité économique, la SNCF a choisi de faire des gares des galeries marchandes, achevant le cercle de la consommation totale; il était utile que le président rappelle le monde de "ceux qui ne sont rien", qui n'a plus sa place dans la gare. Evitons le débat sur les petites phrases, si l'on se réfère à la pensée complexe d'Emmanuel Macron: "réussir ce n'est pas seulement gagner de l'argent, c'est aussi faire réussir ceux qu'on aime, réduire les inégalités, aider à transformer la société". Ce qui pose la question de la réussite collective: aujourd'hui nous acceptons cette société à deux vitesses, nous ne voulons pas voir la misère des migrants à Calais, le ministre de l'Intérieur allant jusqu'à nier leurs droits fondamentaux à la dignité humaine. Rares sont ceux qui s'insurgent contre le délit de solidarité! Les chômeurs sont pointés du doigts comme des oisifs réfractaires à l'effort et non comme les victimes d'un système économique du moindre coût ou l'humain est une ressource comme une autre. Alors, si nous ne voulons pas marcher comme des âmes perdues dans les couloirs des grandes gares, il va falloir faire de ce quinquennat un projet social avant d'être un projet libéral, sans quoi, l'échec sera collectif et sans appel.

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